Quand je travaille… je ne travaille pas. Tellement j’aime ça »

Publié le 3 décembre 2020 dans Moments Forts, News


« Branle-bas de combat. » C’est la sensation qui revient à Chloé quand elle fouille sa mémoire et remonte le fil de ses souvenirs jusqu’à ceux de ses six ans : « Le monde de ma mère qui s’écroule sous ses pieds. Ma vie qui, peu après Noël, s’apprête à basculer. » Une tension, des changements en cascade. Chloé part vivre chez ses grands-parents et doit s’inscrire dans une nouvelle école. C’est la deuxième rentrée des classes de sa première primaire. Bousculée, Chloé n’a pas peur pour autant. « Je ne réalisais absolument pas la gravité de la situation », confie-t-elle. « J’étais trop petite pour imaginer que ma sœur pouvait mourir. »
La famille vient en effet d’apprendre que la petite Manon souffre d’une leucémie myéloblastique aigüe, la forme la plus agressive de la maladie. La sœur de Chloé a trois ans quand elle rejoint l’hôpital pour les six mois à venir, soit « une éternité
». « Mes parents devaient se concentrer sur elle. Mais mes grands-parents ont été merveilleux
: ils m’emmenaient tous les jours à l’hôpital de Liège pour que je puisse les voir au moins une heure. Je jouais avec Manon derrière la vitre de sa chambre stérile, on discutait via le parlophone.
» Il n’existe pas de combinaison stérile taille enfant mais la maladie ne mettra aucune distance entre les deux sœurs. Au contraire.


Est-ce que j’ai le choix ?

Pour sauver Manon, une seule solution : la greffe de moelle osseuse. Chloé est sa meilleure chance – elles ont en commun les gênes de leurs parents. « Ma mère aime le raconter : puisque j’étais compatible à 99,99%, elle m’a demandé si j’acceptais de donner de la moelle à ma soeur ; je l’ai regardée d’un air blasé : “est-ce que j’ai le choix ?” ». La petite râleuse (c’est elle qui le dit) se soumet aux consignes : elle avale de « très mauvais » compléments en fer, elle rate un mois d’école, ne voit plus ses nouveaux amis, est placée sous anesthésie générale, ponctionnée à l’arrière des genoux, dans les avant-bras et les deux aines. « Au réveil, je ne savais plus marcher, on m’avait vidée. » Mais l’objectif est atteint : le corps de Manon, préparé par une intense chimiothérapie et une radiothérapie générale, accepte le greffon. À l’été, la petite fille est guérie. Et entre les deux soeurs, marquées à vie dans leur chair, le lien est devenu indéfectible.

La recherche médicale comme évidence 20 ans plus tard, quelques traces de cette expérience sont toujours perceptibles. Les meilleures. Manon a gardé un irrésistible penchant pour l’insouciance, qui la préserve des angoisses de la récidive et des suites des traitements (stérilité, dépistages, risques de cancers secondaires, etc.). Chloé, de son côté, a transformé son don en vocation ; la grande sœur est devenue chercheuse.

« Depuis la maladie de Manon, m’investir dans la recherche médicale est une évidence. J’ai toujours demandé des kits de chimistes ou des microscopes comme cadeaux ! ». Son doctorat de quatre ans, financé par une bourse Télévie, Chloé le consacre à l’analyse de l’obésité comme facteur de risque pour le développement de certains cancers. Attachée à l’ULiège, elle tente de comprendre comment l’obésité altère l’immunité des patients pour esquisser de nouvelles pistes thérapeutiques. « J’ai profondément envie d’aider les patients qui souffrent. La recherche peut avoir un impact sur des centaines de vies », explique Chloé, fière d’avoir revêtu le tablier Télévie. « Être passionnée est une véritable chance : quand je travaille… je ne travaille pas. Tellement j’aime ça ».
Céline Rase


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