Payer, mais combien ?

Publié le 22 novembre 2021 dans News


A l’heure actuelle, dès qu’un médicament a été enregistré à l’Agence Européenne
du Médicament (EMA), la firme qui le produit peut entamer ses négociations sur le prix. En Belgique, c’est la Commission de remboursement des médicaments (CRM) de l’INAMI et le cabinet du ou de la ministre de la Santé qui gèrent ces négociations.

QALY
La clé des négociations est la QALY. Littéralement, une QALY, ou « Quality adjusted life year », est la valeur d’une année de vie en bonne santé. Chaque nouveau traitement médical reçoit un score en QALY : un médicament susceptible de faire gagner au patient 10 ans de vie en bonne santé vaut 10 QALY. La valeur d’une QALY peut être calculée en divisant le produit intérieur brut (PIB) par le nombre d’habitants. « Soit 40.000 euros environ », précise Benoît Van den Eynde, professeur à l’Institut de Duve et investigateur WELBIO-FNRS. « Cette formule est utilisée depuis longtemps pour fixer les prix des médicaments anticancéreux, et ça n’a jamais posé de problème, parce que, jusqu’il y a peu, ces médicaments ne prolongeaient la survie que de quelques mois ou de quelques années. Mais, désormais, il existe des traitements curatifs, comme l’immunothérapie, qui assurent à un tiers des patients atteints de certains cancers avancés une survie à ce point prolongée qu’on peut parler de guérison. En appliquant le système des QALY à un patient de 40 ans guéri par immunothérapie, on obtient 35 ans de vie en bonne santé ! Et la guérison d’un enfant (par exemple avec l’immunothérapie par cellules CAR-T dans le cadre de la leucémie aiguë lymphoblastique) se traduit, selon le système des QALY, par toute une vie en bonne santé : pas étonnant que les prix explosent ! »


BeNeLuxA
Entre le prix de vente des médicaments et leur coût de production, le fossé ne cesse donc de se creuser. Mais lors des négociations, les pouvoirs publics ne sont pas en position de force. D’abord, parce que si la firme pharmaceutique ne parvient pas à fixer le prix qu’elle souhaite, rien ne l’oblige à distribuer un médicament en Belgique.
Ensuite, parce que les négociations entre les firmes et les États sont encadrées par des conventions secrètes : nos pouvoirs publics ne connaissent donc pas le prix accepté par les autres pays. D’où la création de la plateforme BeNeLuxA, qui permet à cinq pays (la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Autriche et depuis peu l’Irlande) de collaborer pour obtenir des prix plus intéressants pour les médicaments innovants, ainsi que la transparence des prix et des accords. L’Association Internationale des Mutualités (AIM) a par ailleurs élaboré un modèle de prix équitable, qui fixe un prix pour l’Europe, mais en l’adaptant au niveau de vie de chaque pays.


Compensation
« Il faut trouver une solution à l’escalade des prix, mais en préservant le potentiel de recherche et d’investissement de l’industrie pharmaceutique pour la création de nouveaux médicaments », estime Benoît Van den Eynde. « Car si une partie de la recherche se fait en amont dans des institutions publiques, quand on en arrive à l’étape des essais cliniques, dont les coûts ont augmenté de façon exponentielle au cours des quinze dernières années, la recherche publique n’est pas à la hauteur : il y a désormais tant de règles, de dispositions administratives et de freins éthiques et légaux qu’un essai de phase 3 est impayable, sauf pour une grosse firme pharmaceutique. »
Sans doute peut-on soutenir que les firmes, quelle que soit l’importance de leurs investissements, les auront vite amortis. « Mais il faut tenir compte de deux éléments »,
précise Benoît Van den Eynde. « D’une part, le taux d’échec dans le développement des médicaments est de 90 à 95%. Autrement dit, le rare produit qui arrive sur le marché doit servir à compenser TOUS les échecs. Par ailleurs, pour rembourser ses énormes investissements, l’industrie pharmaceutique ne dispose que de 20 ans à partir du dépôt du brevet. Or, pour s’assurer de la validité de ce brevet, la firme doit le déposer à un stade très précoce, la mise sur le marché se situant généralement entre la dixième et la quinzième année après le dépôt. Donc elle n’a que 5 à 10 ans pour rentabiliser son produit, car, dès la fin du brevet, un générique apparaît et le marché s’effondre. C’est pour ça que les firmes, qui doivent rester bénéficiaires pour continuer à innover, visent les prix les plus élevés que la société puisse rembourser. »


Trop, c’est trop !
Benoît Van den Eynde suggère aux pays occidentaux d’exiger ensemble des plafonnements. « Il faudrait pouvoir dire aux firmes, de manière unanime : “Aucun pays ne déboursera près de 400.000 euros pour rembourser ou prendre en charge une thérapie cellulaire par cellules CAR-T, et 100.000 euros par an pour l’immunothérapie, c’est trop : les prix doivent baisser d’une manière importante”. Mais, en contrepartie, « il faut aussi respecter leur réalité économique et élaborer, par exemple, un mécanisme qui prolonge la durée des brevets, et donc la vie commerciale des produits. Nous devons rester réalistes : nous avons besoin des entreprises pharmaceutiques, parce que nous avons besoin de l’innovation. »
Marie-Françoise Dispa


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