L’IA, une nouvelle alliée dans la lutte contre le cancer
Publié le 24 janvier 2025 dans News
Dans plusieurs disciplines, telles que l’imagerie médicale, l’intelligence artificielle fait parfois déjà partie du quotidien. Et de plus en plus, elle s’invite aussi dans la recherche en cancérologie. Avec, à la clé, des diagnostics plus rapides, mais aussi des traitements plus précis et personnalisés.
Joan Somja est pathologiste au CHU de Liège. Toute la journée, elle observe minutieusement des cellules prélevées chez des patients lors de biopsies, et cherche à déterminer si ces dernières sont cancéreuses ou susceptibles de le devenir. Et alors que cette pratique passe depuis longtemps par un microscope, elle se fait aussi désormais par le biais d’un ordinateur assisté par des algorithmes d’intelligence artificielle. L’IA en médecine est actuellement une révolution en marche, s’enthousiasme la praticienne. De nombreux praticiens l’utilisent très souvent, et il s’agit véritablement d’un outil universel.
Impossible ces derniers temps de passer à côté de l’IA, tant ses usages explosent dans tous les corps de métiers. Et pourtant, si cette technologie semble être apparue au milieu des années 2010, elle est en réalité née au milieu des années 1960, avec la création des neurones artificiels. Ces derniers sont inspirés de la capacité de notre cerveau à reconnaître de nouvelles choses à partir de ce qu’il a déjà vu. Une compétence très utile, alors que la quantité de données médicales augmente très rapidement.
Les cellules que l’on observe sont déposées sur des lames, que l’on regarde au microscope à très fort grossissement, dévoile la pathologiste. Pour être exploitées par un algorithme, il faut donc qu’elles soient scannées à très haute résolution. Cela peut facilement atteindre jusqu’à deux gigaoctets de données par lame, et on peut en recevoir plus d’une vingtaine par patient.
Mais pour la scientifique, le jeu en vaut largement la chandelle. Dans le cas du cancer de la prostate, par exemple, avant même que l’on ne regarde les images par nous-mêmes, l’algorithme va guider notre attention vers les zones à risques, explique la Pre Somja. On obtient alors une sorte de carte, avec en rouge les cellules que l’IA estime cancéreuses, en orange les zones pré-cancéreuses, etc. Cela nous fait gagner un temps extrêmement précieux, et cela se traduit par un diagnostic plus rapide pour le patient.
Si ces algorithmes sont si performants, c’est grâce aux dizaines de milliers d’images patiemment accumulées au fil des années, puis classées, stockées dans des bases de données, et finalement décrites en détail par des scientifiques du monde entier. Le principe est simple : une fois qu’ils ont analysé ces milliers d’images, les algorithmes d’IA sont désormais capables d’émettre un diagnostic sur des images qu’ils n’ont jamais vues. En fonction des bases de données qui ont servi à leur entraînement, certains algorithmes peuvent également déterminer certaines caractéristiques liées au cancer, afin de nous aider à déterminer son agressivité par exemple, et d’établir un pronostic, ajoute la clinicienne.
Cette capacité fait actuellement l’objet de nombreuses recherches, en raison de la capacité des algorithmes à déceler des choses invisibles aux yeux des pathologistes. Dans certains cas, l’IA va reconnaître des configurations de cellules qu’elle estime être associées à un moins bon pronostic, sans que l’on en comprenne la raison, révèle la Pre Somja. Cela peut être lié aux interactions entre les cellules, à l’environnement immunitaire… En travaillant sur ces résultats, cela va nous permettre aussi de faire des recherches qui vont améliorer notre compréhension des cancers.
Croiser les données
Spécialiste du cancer du sein, le Pr Christos Sotiriou, Directeur de recherches FNRS et Directeur du laboratoire de recherche en cancérologie Jules Bordet, partage totalement l’enthousiasme de Joan Somja pour l’utilisation de l’IA. Personne ne peut contester la rapidité des IA à établir, à partir d’une simple image de biopsie, la présence ou non d’un cancer, estime-t-il.
Un gain en rapidité, donc, mais également en précision. Il existe jusqu’à cinq types de cancer du sein, qui répondent à des traitements différents, révèle le chercheur. Et même dans le cas des cancers dits triple négatif, qui ont malheureusement un pronostic assez défavorable, il existe cinq sous-types différents, avec une expression génique particulière. Aujourd’hui, ces sous-types ne peuvent être détectés que grâce à l’analyse moléculaire des cellules, ce qui prend du temps. Mais nos recherches sont en train de montrer qu’un algorithme est capable, en analysant simplement une image de biopsie, de déterminer au moins 3 sous-types de cancer triple négatif !
Une découverte importante, qui a des conséquences directes pour les patientes. L’identification de ces sous-types est primordiale, car leur réponse à l’hormonothérapie et à la chimiothérapie est différente, dévoile-t-il. Or, l’analyse d’une image prend une heure quand près de 2 semaines sont nécessaires pour obtenir une signature génique. C’est donc un gain de temps important pour les patientes, et cela permet d’éviter des traitements qui seraient inutiles, avec tous les effets secondaires que cela implique.
Et en recherche, le laboratoire du Pr Sotiriou compte bien utiliser la formidable capacité de l’IA à analyser et combiner des données à la fois visuelles, mais aussi génétiques. Nous travaillons actuellement sur les cancers qui ont métastasé, afin de mieux comprendre ce qui différencie, au niveau moléculaire, les cellules métastasées des cellules de la tumeur primitive, explique-t-il. Nous avons déjà réalisé une étude au niveau de l’expression génique et constaté des différences…