Le deuil et l’espoir

Publié le 19 décembre 2018 dans News


« Le progrès, dans la recherche, ce n’est pas de passer de 0 à 100 % de chances, mais de 50 à 51 % », explique le Pr Yves Beguin, hématologue au CHU de Liège et médecin de la jeune Lara, décédée l’été dernier d’une leucémie. Face à la disparition de jeunes gens devenus des incarnations du combat contre le cancer, ce sont pourtant toujours les mêmes questions qui reviennent en boucle : pourquoi cet échec après tant de victoires ? Pourquoi cette issue après mille batailles gagnées ? Trouvera-t-on un jour un moyen de venir à bout de tous les cancers ? Autant d’interrogations dont les réseaux sociaux se font aujourd’hui le relais émotionnel et qui n’appellent jamais de réponse simple.

Pronostic

Car en science, le miracle n’existe pas. Seulement peut-on miser sur le travail, l’intelligence, l’obstination. « La recherche fonctionne selon un processus d’amélioration continue. C’est une somme de petites pièces de puzzle que nous mettons bout à bout et qui finit par faire avancer les choses », rappelle le Yves Beguin, Directeur de recherches honoraire du FNRS. « Lara et Marie-Hélène, atteintes de leucémie, ne seraient pas arrivées là dans leur parcours il y a cinq ou dix ans. Le succès a été temporaire, mais s’il n’y avait pas eu de progrès dans la recherche, l’impasse aurait été là beaucoup plus tôt. » Les familles des jeunes patientes sont d’ailleurs les premières à comprendre et à accepter – malgré la douleur – que la recherche avance à pas lents et qu’il importe de continuer à la soutenir. « Elles ne sont pas du tout en réaction par rapport à ça. Elles savent que même quand l’espoir était là, cet espoir était ténu.»

« UN PRONOSTIC TRÈS MAUVAIS, OÙ IL N’EXISTE QUE 10% DE CHANCES DE S’EN SORTIR, SIGNIFIE TOUT DE MÊME QU’UN PATIENT SUR DIX S’EN SORTIRA. »

 

L’espoir – cette notion tellement présente lorsqu’on lutte contre la maladie – n’est en effet jamais une promesse de guérison. Seulement signifie-t-il qu’il existe une possibilité d’amélioration, dépendante de maints facteurs. «Aujourd’hui, dans la leucémie, nous parvenons à identifier de plus en plus de facteurs pronostiques : l’âge, la quantité de cellules leucémiques, la dissémination ou non de ces cellules dans le cerveau, les caractéristiques génétiques des cellules leucémiques…  Cela nous permet d’orienter les premiers traitements et notamment de savoir très rapidement s’il est indiqué de faire ou non une greffe de moelle. Mais il ne faut jamais oublier que lorsqu’on décrète qu’un patient a 85% de chances de s’en sortir, il reste 15% d’échecs probables. Et qu’à l’inverse, un pronostic très mauvais, où il n’existe que 10% de chances de s’en sortir, signifie tout de même qu’un patient sur dix s’en sortira. »

Volonté et humilité

Lorsque des jeunes patients disparaissent, on entend souvent dire qu’ils ont « perdu le combat ». Mais bien sûr, il ne s’agit jamais d’un échec personnel. Si ces enfants et adolescents se distinguent par la force psychologique qu’ils ont développée face à la maladie, cette force ne peut à elle seule faire pencher la balance. « Il y a sans doute un petit effet réel de la volonté du patient, mais qui, au final, joue probablement assez peu. En revanche, un bon état psychologique va permettre de bien suivre le traitement, ce qui a une influence directe sur l’évolution de la maladie. À l’inverse, un patient qui n’a pas un bon moral risque de ne pas être réceptif, mais aussi de moins bien réagir aux complications. En cela, on peut dire que le psychologique a une influence non négligeable sur l’état de santé », analyse le Pr Yves Beguin.

Enfin, si le patient est loin d’avoir toutes les cartes en main pour « gagner le combat », il en est de même pour le chercheur. « Une recherche ne se mène jamais de manière isolée. Elle se fait toujours en lien avec d’autres recherches que mènent l’industrie pharmaceutique et les universités partout dans le monde. Jamais le Télévie seul ni même les chercheurs belges seuls ne pourront permettre de venir à bout de la leucémie. » Cette humilité, une fois encore, n’est pas synonyme de renoncement : au contraire, elle implique de stimuler les coopérations à l’échelle internationale. Celles-ci sont rendues plus nécessaires encore par les progrès eux-mêmes de la science qui vont dans le sens d’une prise en charge toujours plus ciblée du cancer, notamment en fonction de ses caractéristiques génétiques. « Ce sont des recherches qui coûtent très cher ! Heureusement, aujourd’hui, il y a un réel effort coopératif qui assure que les progrès effectués dans tel laboratoire seront très rapidement communiqués aux autres labos, de manière à pouvoir permettre à tous de faire des progrès plus rapides», conclut le Pr Yves Beguin. Un gigantesque puzzle dans lequel chaque pièce compte.

Julie Luong


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