Anne Van den Broeke : haro sur le virus de la leucémie !

Publié le 16 décembre 2021 dans News


La professeure Anne Van den Broeke travaille à l’Institut Jules Bordet ainsi qu’à l’Institut de recherche Giga de l’ULiège.  Elle a accepté pour nous de faire le point sur ses recherches en matière de cancer, entre recherche fondamentale et avancées pratiques dérivées du monde animal.  

Les travaux d’Anne Van den Broeke, financés en partie par le Télévie, portent sur la leucémie à cellules T de l’adulte, ou leucémie ATLL : une forme rare de leucémie qui se développe à cause d’un virus. Les individus qui en sont infectés peuvent l’être durant des dizaines d’années sans développer de symptômes.  « A un moment donné, précise la professeure, l’une des cellules infectées par le virus va se développer, proliférer, devenir très agressive et infecter les autres cellules. Pour l’instant, on ne connaît pas de traitement efficace contre cette prolifération ». 

Du Japon aux Caraïbes 

Chez l’homme, cette leucémie est surtout endémique. « Elle se retrouve dans certaines régions du globe, comme le Japon, les îles Caraïbes, la Roumanie, ou la Grande-Bretagne. Mais avec la mondialisation, elle peut voyager partout ». Le virus peut se transmettre de la mère à l’enfant par le lait maternel. « Au Japon, on demande donc aux mères infectées qui viennent d’accoucher de ne pas allaiter leur enfant. Par contre, dans les Caraïbes, l’allaitement fait partie des coutumes bien ancrées. Il est donc extrêmement difficile de convaincre les mères de famille ». Le virus ne faisant pas l’objet d’une détection systématique, on pense que la population infectée dans le monde est fortement sous-estimée. En Belgique, on ne recense que quelques cas par an. En France, on en compte beaucoup plus.    

De l’animal à l’être humain

Vétérinaire de formation, la Professeure a choisi d’étudier cette leucémie en se basant notamment sur les animaux. « Je m’intéresse aux moutons, qui sont infectés par un virus très ressemblant. On peut l’étudier avant qu’il ne se déclenche dans l’organisme, contrairement à l’être humain. Chez le mouton, on peut décortiquer de façon beaucoup plus précise les étapes précoces de la leucémie. Plutôt que de prendre un échantillon de sang de l’animal, on parvient à trier les cellules et à retrouver celle qui a donné lieu à la tumeur »

Coopération internationale 

La collaboration avec les autres pays est essentielle dans ce processus de recherche. « Nous travaillons avec les Canadiens qui ont d’excellentes infrastructures pour ces animaux ». En tant que vétérinaire, Anne Van den Broeke étudie la présence de ces leucémies chez la vache ou le mouton suite à une conférence d’Arsène Burny, à laquelle elle a assisté. Ces maladies, on s’en préoccupe très peu chez ce genre d’animaux. La chercheuse a alors fait une thèse de doctorat à ce sujet dans le laboratoire du « père » du Télévie. « Ces recherches sur les animaux m’ont permis de voir le virus sous un autre angle ». 

Une avancée importante  

Les Japonais sont affectés depuis longtemps par ce virus. Ils ont donc récolté de nombreuses données auprès de leurs patients infectés asymptomatiques. « Ces patients ont appris suite à un test à l’hôpital qu’ils étaient infectés, ou parce qu’un membre de leur famille a développé une tumeur ». L’étude japonaise a démarré en 2002. « Chaque année les patients en question vont voir le médecin. Et on regarde chez ceux qui ont développé la leucémie s’il existe un marqueur qui permet de dire aux autres (qui n’ont pas ce marqueur) : « OK, vous êtes infecté, mais vous ne courez pas de risque de développer la leucémie ».  Le séquençage à haut débit en cellule unique que nous avons développé grâce à nos recherches permet d’arriver à ces conclusions. On a un désormais un marqueur de risque de développer la maladie Environ 20% des patients infectés ne développeront pas la leucémie. On peut donc désormais les rassurer à ce sujet. Jusqu’ici ni le malade, ni les médecins n’avaient d’idée sur le risque de développer la leucémie ».  

Un virus menaçant pour le génome humain

Le virus de la leucémie à cellules T s’insère dans notre génome, dans notre ADN. « Une fois dans la cellule, il n’en sort plus et il se propage avec la cellule dans le matériel génétique. Une des techniques que nous avons mises au point permet de trouver exactement l’endroit du génome où le virus s’insère. C’est important car le virus va perturber des gènes humains dans le voisinage de ce point d’entrée. Cela nous aide à aussi à comprendre les mécanismes non liés à un virus, mais bien à une perturbation locale du génome humain. Le virus nous sert donc d’outil pour faire aussi de la recherche fondamentale »

Comme tous les chercheurs dont les travaux sont financés par le Télévie, Anne Van den Broeke ne sous-estime pas l’apport de l’opération à la recherche contre le cancer. « Sans le Télévie, on n’aurait pas pu aller aussi loin dans nos travaux. Nos étudiants, nos post-docs sont essentiellement payés par le Télévie. Et sans eux, sans ces gens motivés, on n’y serait pas arrivé ». 

Perspectives d’avenir

Les travaux du Professeur Van den Broeke et de son équipe sont loin d’être achevés. Mais elle se veut optimiste pour la suite de ses recherches. « Le séquençage à haut débit en cellule unique va permettre à terme de retourner en arrière chez les animaux qui ont développé une tumeur, et d’essayer de comprendre pourquoi la maladie a démarré. Cela représente un potentiel certain pour le futur. On va pouvoir arriver à comprendre ce qui a déclenché la leucémie chez l’animal, puis chez l’homme, et permettre à terme d’éviter que les personnes infectées déclenchent la maladie »

D.H.


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